Éditorial par Gérard-François Dumont
paru dans la revue Population & Avenir n° 655 de novembre-décembre 2001

Un monde commun à tous

Les commentaires sur les événements qui se sont succédés depuis le 11 septembre 2001 ont été et sont nombreux, divers et contradictoires.

En considérant le double attentat initial de New York, la science de la population peut éclairer les changements en cours, présenter les marqueurs démographiques de la nouvelle géopolitique mondiale, et notamment les quatre suivants.

1. D’abord, le lieu du double attentat du 11 septembre – le cœur de New York – symbolise l’importance considérable des villes et singulièrement des mégapoles (1). dans notre monde contemporain. Les hommes se concentrent dans des territoires urbains, délaissant les vastes espaces ruraux qui, dans de nombreuses régions, perdent de la densité. New York est donc un lieu de concentration de population (24,7 millions d’habitants, la deuxième métropole mondiale après Tokyo), mais plus encore d’emplois. Les bureaux et les activités portuaires de Manhattan attirent chaque jour des centaines de milliers de travailleurs des quartiers périphériques de New York et de l’ensemble de l’agglomération. La grande ville se trouve plus que jamais au cœur des systèmes par l’importance relative accrue de sa population, de ses activités et par son rôle de phare économique (2). En conséquence, comme on l’a vu, l’atteinte portée à une mégapole peut rejaillir sur l’ensemble d’un territoire national et même au-delà, sur la planète entière.

2. La diversité de nationalités des 6000 morts du double attentat de New York – plus d’une cinquantaine – met en évidence la spécificité de la mégapole new yorkaise et, plus généralement, des grandes villes nord-américaines et européennes par rapport à d’autres métropoles mondiales. En effet, la composition des populations des grandes villes du monde est de deux natures. D’une part, en Amérique du Nord et en Europe, la plupart des grandes villes présente un caractère cosmopolite par la diversité des nationalités qui y résident et par l’importance relative des résidents de nationalité ou d’origine étrangère. La croissance de ces grandes villes, lors de ces dernières décennies, est essentiellement due à leur attirance migratoire et plus particulièrement à leur attirance migratoire internationale. Car les immigrants augmentent directement la population par leur présence même et par leurs descendants, d’autant que la composition par âge des nouveaux arrivants est plus jeune que celle des résidants déjà installés.
En revanche, en Asie, en Afrique et en Amérique latine, la plupart des grandes villes ne sont pas cosmopolites. Certes, des résidents étrangers, diplomates ou hommes d’affaires, demeurent à Tokyo, Séoul ou Buenos Aires, capitales politiques et économiques. Mais la proportion de personnes de nationalité étrangère vivant dans ces grandes villes est marginale, même si l’on y ajoute les immigrés clandestins.

3. La diversité des nationalités des morts du double attentat de New York est justiciable d’une autre explication : en 1965, les Américains ont décidé l’élargissement géographique de la politique d’immigration en supprimant les quotas géographiques (3), comme le montrent les résultats du recensement américain (4). Bien qu’elles soient souvent méconnues, ces décisions contribuent à une diversité ethnique croissante des Etats-Unis.

4. L’ensemble des événements que le monde traverse depuis le 11 septembre souligne un autre aspect de la réalité contemporaine : le terme de “ mondialisation ”, si souvent utilisé à propos de l’économie, doit s’appliquer également aux migrations. Les flux de migrations internationales les plus importants ont longtemps été des flux de proximité. Les progrès de la navigation du XIXe siècle ont déjà contrarié cette réalité avec l’immigration de dizaines de millions d’européens outre-Atlantique. Au recensement de 1901, les étrangers, de très loin les plus nombreux en France sont les Belges. Ils conservaient encore la deuxième place des effectifs étrangers en 1931, derrière les ressortissants d’un autre pays frontalier, les Italiens.

Le progrès des transports terrestres, aériens et maritimes, la possibilité de recueillir de l’information grâce au développement des télécommunications et de l’informatique (Internet), ont modifié la donne, rendant possible une mondialisation croissante des migrations dont les champs dépendent des réseaux existants.
Quelle que soit l’évolution de la globalisation après les attentats meurtriers du 11 septembre, les technologies nouvelles – matérielles (transports rapides) ou immatérielles (transmission immédiate d’informations) – rappellent que les femmes et les hommes, riches de leurs diversités culturelles, appartiennent à un seul monde. Autrement dit, toute citoyenneté est plurielle : elle suppose un comportement citoyen à la fois dans son quartier, dans sa commune, dans sa région, dans son pays et dans ce monde commun à tous.

Gérard-François DUMONT

(1) Agglomération comptant plus de 10 millions d’habitants.
(2) Wackermann Gabriel et alii, Les métropoles dans le monde, Paris, Ellipses, 2000.
(3) Dumont Gérard-François, Les populations du monde, Paris, Armand Colin, 2001.
(4) Rappelons un seul chiffre : les États-Unis comptent six millions de musulmans, soit davantage que la Libye, la Jordanie, le Liban, les Émirats Arabes Unis… considérés séparément.

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Dumont, Gérard-François, « Un monde commun à tous. La lecture démographique des événements du 11 septembre 2001″ », Population & Avenir, n° 655,  novembre-décembre 2018.